Dimanche
3 mars 2013
Bêtes
de scène dans une arène
Serge Nicolaï
met en scène quatre comédiens argentins dans
« A puerta cerrada ». « Huis clos » comme
une corrida ? Un pari réussi grâce à la pertinence de l’adaptation, mais
aussi à la fine partition de Jean-Jacques Lemêtre et à la performance
des comédiens.
La mise en
scène et la scénographie de Serge Nicolaï révèlent ainsi que l’enfer
n’est pas seulement œuvre des deux autres personnages, mais celle de ceux
qui peuplent le hors-scène. C’est pour eux que l’on joue la comédie, et
ceux-là continuent à vivre sans nous quand les feux s’éteignent. Pas étonnant
que le dernier cri de Garcin soit « On continue ! ». La vie
est une comédie. « Show must go on. » Il y aurait ainsi
quelque chose de pirandellien dans A puerta cerrada.
La belle
création sonore de Jean-Jacques Lemêtre renforce chacun de ces partis
pris de mise en scène. Le spectacle s’ouvre dans le noir sur un magnifique
prologue documentaire en espagnol. Mots simples et âpres de tous les jours
avant les mots du lettré. Ensuite, les bruits les plus angoissants se mêlent
aux mélodies envoûtantes. Les personnages sont sans cesse environnés par des
sons qui ne les laissent pas en paix, ou qui révèlent ce qu’ils voudraient
celer. On pourrait presque se contenter d’écouter la pièce si les interprètes
n’étaient pas si bons.
Une arène
pour des bêtes de scène
Car la
force d’A puerta cerrada réside aussi dans le jeu
des acteurs. Serge Nicolaï, se souvenant du contexte d’écriture de Huis clos en 1943,
veut « parler de notre société. Parler de la perte de confiance entre les
individus. Parler de l’égoïsme. Parler de la peur. Parler de l’engagement.
Parler de la résistance. Parler de la survivance ». Et évidemment, il y a
de tout cela dans la pièce. Garcin se voulait héros du pacifisme, et il a sans
doute été lâche au moment de passer à l’acte. Inès aime la souffrance des
autres et Estelle les sacrifie à sa vanité. Tous sont des bourreaux dans un
temps de bourreau, tous ont fait des choix dans un temps où chaque acte, chaque
parole pouvait décider de la vie des autres. Pourtant, A puerta cerrada est
avant tout une magnifique gageure pour des comédiens. Sans eux, la plus belle
mise en scène s’effondrerait. Or, ils sont très bons, engagés : bêtes de
scène dans une arène.
Toutes ces
qualités ne créeront peut-être pas un engouement pour le théâtre
de Sartre, et notre époque aura peut-être du mal à se mirer en ce miroir,
mais Serge Nicolaï signe là une adaptation réussie et offre une belle
tragédie sur un air de tango.
Laura Plas
Les
Trois Coups
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